L’instinct de survie…

Salut !

19 kms. C’est la distance qui me sépare de la ville d’Umbertide. Une petite étape qui tombe bien vu ma petite forme en quittant le sanctuaire franciscain et Frère Joseph. En plus, la route descend doucement sur plusieurs kilomètres. J’y vais tranquillement. Le ciel est un peu couvert et il fait moins chaud qu’hier.

Juste avant de descendre, Frère Joseph avait demandé à un diacre du pays comment retrouver les balises. Etant arrivé en voiture de nuit, je n’ai aucune idée d’où se trouve le sentier. Le diacre en question voulait me faire prendre la route la plus courte. J’avais insisté sur La via Ghibellina. J’en ai profité pour faire de la publicité… 😉

L’homme m’a alors montré deux grandes antennes sur une montagne au loin. Il m’a expliqué que j’allais passer à leurs pieds. Effectivement, c’est chose faite en début d’après-midi. Je suis sur la crête. Le vent souffle bien. Le soleil est caché par des nuages semblant s’épaissir. Je pense qu’il va pleuvoir d’ici peu.

Je passe deux premières antennes. Le chemin forestier descend vers une troisième. La descente se poursuit jusqu’à une propriété. Il tombe quelques gouttes. Une superbe piscine capte toute mon attention. Je ne vois pas le sentier partir à gauche. En revanche, je vois le panneau devenu un classique depuis le début de mon périple : « Attenti al cane » (Attention au chien). Je ne prends pas la peine de lire le petit panneau en-dessous. Erreur. La piscine et la maison sont superbes dans ce décor. Il fait plutôt frais, et je n’ai pas du tout envie de me baigner. Mais je trouve le tout tellement beau. Je ne vois personne. Seule une voiture est garée devant la maison. Je ne vois pas les balises non plus.

De petits pics en bois avec la tête peinte couleur des balises m’induisent davantage en erreur. Sans être sûr que ce soit la bonne route, je continue. Me voici longeant la propriété, arrivant derrière la maison et la piscine, espérant y voir un sentier. Rien. Seulement une vue sur les montagnes. Pas d’autres maisons non plus. Je fais demi-tour. Gros problème ! A 30 mètres surgit un gros berger allemand à poils longs. Il m’a vu. Et vient vers moi sans aboyer. Tout va très vite dans mon esprit : impossible de retraverser la propriété. Je cours vers ce que j’avais pris pour un sentier. Et me retrouve dans le maquis ! Et m’y enfonce. Je me retourne régulièrement pour voir si le chien m’a suivi. Il pleut un peu plus fort. Mon sac étant assez imposant, j’ai du mal à me frayer un chemin entre les ronces et les petits arbres morts. Malgré mes efforts, je tombe lourdement deux fois. Et me relève vite.

J’ai un rapport très particulier avec les chiens. Ça date d’il y a 10 ans. En venant de Jérusalem pour aller à Compostelle, nous avions traversé la Turquie. A un moment où je cheminais loin derrière mon compagnon de marche, je me suis fait attaquer par deux chiens. J’avais eu le malheur de passer devant leur maison, et le portail était ouvert. Une expérience traumatisante. L’un des deux chiens tentait de me prendre à revers, tandis que l’autre attaquait de face. Je me souviens avoir eu énormément de mal à les garder à distance. Mon sac très lourd ne m’aidait pas à bouger rapidement. J’avais dû mon salut à mon bâton, et à l’arrivée inopinée… d’un journaliste qui nous cherchait. Je me souviens avoir été tellement content de son intervention que croyant le (re)connaître, dans le stress du moment je lui avais fait la bise. Je ris encore de ma réaction quand j’y repense. 😉

Il n’y aucun sentier. Je dois me rendre à l’évidence : je suis en train de m’enfoncer dans un terrain que je ne connais pas du tout, et vais forcément finir par me perdre. Il se met subitement à pleuvoir très fort. Un bonnee grosse averse. Il ne manquait plus que ça. Est-ce l’instinct de survie ? Je l’ignore. Mais toujours est-il que je décide de rebrousser chemin. Je suis prêt à me défendre. Berger allemand ou pas, je ne ferai pas demi-tour. Je me passe cent fois le film dans ma tête. Si il m’attaque, je jette mon sac et je le plante avec mon bâton. En temps normal, je ne ferais pas de mal à une mouche. Mais là, je remonte en me disant que si je ne le tue pas, c’est lui qui va le faire. Je n’ai pas la rage. Je ne suis pas en colère. Je ne me demande même pas quelles sont mes chances. Je crois que j’ai peur… et ça me rend fou.

Il a disparu. Je retraverse la propriété jusqu’au panneau. Sur le second est inscrit « Propriété privée. Passage interdit ». Là, je comprends que j’ai fait fausse route. Et remonte vers la dernière antenne. Je retrouve mon chemin qui descend maintenant vers ma droite.

Jusqu’alors, je suivais un sentier forestier en gravier. Maintenant c’est de la terre. Transformée en boue avec la pluie. Ça glisse énormément. J’évite plusieurs fois de tomber. Je patine plus que je ne.marche ! Les taons sont de retour. Nombreux. Très nombreux ! Ils doivent être une soixantaine à tourner dans tous les sens autour de moui. Ils sont très excités. Moi, c’est l’inverse. Je suis hyper calme. Je leur parle. Je les insulte. Je me moque d’eux. Je leur dis qu’ils n’oseront jamais me suivre en ville. Plus question de m’énerver avec eux. Mais je continue à faire des pauses vendetta.

Le sentier redevient gravier après un quart d’heure de patinoire. L’apparition d’une première maison, entourée d’un grillage cette fois (!), me rassure. Je continue à descendre. De nouveau, je ne vois plus les balises. Même si je les gère de mieux en mieux, les taons demandent tout de même que je ne les quitte pas des yeux. Ai-je raté une balise pour cette raison ? Je demande mon chemin à un anglais résidant dans le coin. Il me dit de suivre la petite route jusqu’au pied de la montagne. Ça me permettra de retrouver la route principale menant à Umbertide. Je sais que ça va me rallonger de plusieurs kilomètres. Mais au moins je sais où je vais. Je continue donc ma descente en lacets.

Arrivé à un énième virage, un chien de berger aboie après moi. Il s’agit d’un chien de montagne des Pyrénées. Il est un virage plus bas. Le troupeau de moutons, lui, est à 100 mètre du grillage bordant la route. Je continue à descendre, tandis que le chien s’approche du grillage en question. Un second chien arrive. Le même. Puis un troisième. Aussi gros, mais d’une autre race. Et comme si cela ne suffisait pas, arrive une sorte de labrador survitaminé. Ils aboient tous les quatre.

Quand j’arrive près d’eux, je vois que le grillage n’est pas fermé sur la droite. Je m’empresse d’arriver à leur hauteur, afin d’éviter qu’ils viennent à moi et découvrent que l’enclos n’est pas totalement clos, justement. Je marche sur le côté gauche de la toute petite route. Ils aboient de plus en.plus, juste là à 3 ou 4 mètres de moi. Ils s’excitent les uns les autres. Je sens que ça va crescendo et redoute la tournure de la situation. Il n’y a aucune maison à moins de 500 mètres. Pas de berger dans les champs. Les chiens sont fous de me voir passer aussi près. J’ai repéré l’autre bout de l’enclos. Je dois tenir jusque là. Une fois à la limite, je ne serai plus sur « leur » territoire.

Je continue d’avancer. Le grillage n’est pas très haut. Moins d’un mètre. Je sais que les trois plus gros sont incapables de le sauter. Par contre, le labrador bodybuildé est un peu plus petit et la colère aidant, il pourrait peut-être… tout à coup arrive ce que je redoutais ! Le gros labrador se glisse en-dessous du grillage et vient sur la route. Les trois autres hurlent de plus belle. J’ai l’impression.qu’il lui crient : « Bouffe-le ! Putain, bouffe-le ! ». Je me tourne vers l’échappé. Je me mets mon bâton en avant pour le garder à distance. A peine sorti du champ, il pisse sur le bas-côté. On est bien dans une lutte de territoire. La fin de l’enclos se rapproche. Je dois continuer à avancer doucement.

J’ignore si l’épisode du berger allemand y est pour quelque chose, mais je suis plutôt calme compte tenu de la situation. Je sais que je ne dois pas paniquer. Surtout ne pas courir. Ce serait leur dire ouvertement que j’ai peur. Et à ce moment précis, je n’ai pas peur. Je réfléchis à tout ce que je dois faire. Et à ce que je dois éviter. Je suis conscient de n’avoir aucune chance contre ces quatre molosses. Pourtant, je me dis que si ils passent à l’attaque et que je dois y laisser ma peau, au moins l’un d’eux partira avec moi.

Celui qui est sorti a fini de pisser. Il me suit doucement. Les trois autres veulent aussi sortir. Ça s’entend ! Celui qui ressemble à un chien de berger croisé trouve une autre faille dans le grillage ! Il glisse sa tête. Il est énorme. A ce moment-là, je laisse de côté celui qui est sorti et pointe mon bâton vers le gros bâtard (c’est le cas de le dire !). Il renonce à essayer de sortir. Ça me rassure. Ils ont compris que je n’avais pas peur. Pas encore…

J’arrive au bout de l’enclos… qui n’est pas fermé. Merde ! Je continue à surveiller celui qui est dehors. Il me suit timidement. Je pense qu’il a compris que je n’en voulais pas au troupeau. Le gros bâtard se met dans le coin de l’enclos ouvert. Les deux autres le suivent. Ils sont sur une roche, donc en hauteur par rapport à moi. Je leur répète plusieurs fois que je m’en vais. C’est bon, je m’en vais… Ils me regardent m’éloigner.

La pression retombe. J’ai les jambes en coton. Je me dis : « Quel coup de flippe de merde ! Mais quel coup de flippe de merde ! ». Avant de me repasser toute la scène. Et en particulier mon comportement. Et là, je suis fier de moi. J’ai tenu tête. Avant de partir, je savais que je serai confronté à un chien… mais pas à quatre !

Je suis maintenant trois virages plus bas. De nouveau les chiens aboient. Je me tourne. Je souris… et les gratifie d’un beau doigt d’honneur.

Dix minutes plus tard, je passe devant une maison où est allongé un « chien de garde ». Disons un mini chien. Il ne m’entend pas arriver. Tu parles d’un chien de garde ! Il doit dormir. Il relève la tête quand j’arrive à un mètre de lui. Il ne bronche pas. Je passe, lui souris et le gratifie d’un doigt lui aussi. Mais du pouce. Je m’éloigne. Quand je suis à 10 mètres, il se met à aboyer. J’éclate de rire !

Je n’avais que 19 kms à faire. Une petite étape qui tombait bien vu ma petite forme de ce matin… ça aussi, c’est arpenter le chemin.

Prenez soin de vous, et à bientôt !

Mahdi du Camino

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Il y a une différence entre connaître le chemin, et arpenter le chemin…

Salut !

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Lors de mon arrivée au Sanctuaire del Canoscio, je n’ai pas été de suite hébergé. Souvenez-vous, les.novices ne pouvaient pas décider seuls. La décision appartenait au père supérieur. Que j’ai eu au téléphone. Il a donné son accord après m’avoir posé quelques questions. Je n’ai pas compris pourquoi cela a pris tant de temps puisque le sanctuaire franciscain figure sur ma lite d’hébergement pour pèlerins. J’ai d’ailleurs répété plusieurs fois aux novices que je comptais payer ma chambre.

Quelques minutes après ce coupe de fil, sont arrivés plusieurs franciscains, menés par un père. Une fois informé de la situation, celui-ci donne son accors à son tour. Le monsieur qui m’a amené me montre un jeune franciscain et me dit qu’il est Français. C’est Frère Joseph. On sympathise très vite. Ça me fait du bien de pouvoir discuter en français. D’autant plus que ce jeune franciscain emploie des mots d’argot… je n’en ai plus entendu depuis bien.longtemps ! 😉

Il a marché sur les chemins de St Jacques et comprend mieux ma situation et ce dont j’ai rapidement besoin. Grâce à lui, je suis accompagné dans un dortoir vide. Et on m’offre un bon repas. Chaud, de surcroît ! Pour moi, est le luxe ! Il y a des pâtes au parmesan, de la.viande, de la.salade, et un très gros morceau de fromage. Tout ça rien que pour moi ! Frère Joseph m’explique qu’ils vivent de dons. Et que ce qu’ils m’ont offert à manger leur a aussi été donné.

On se met d’accord pour se voir demain matin. Il me propose de m’apoorter du café. Il me dit aussi que je peux rester plusieurs jours si je veux me reposer. Mais comme j’ai dit au père supèrieur que je ne restais qu’une nuit, je ne veux pas revenir sur ma parole. C’est étrange de voir ce jeune de 27 ans se soucier de moi bien plus que ses confrères plus âgés. « Il y a une différence entre connaître le chemin, et arpenter le chemin. » 😉

Le ballon d’eau chaude venant d’être branché, j’ai le temps de manger avant de me doucher. Tout ce qui est devant moi est délicieux ! Je me repasse avec émotion cette longue journée. Les moments difficiles. Les moments où j’ai couru pour sortir des bois avant la nuit. Les rencontres. Le goût de l’eau fraîche que le propriétaire de l’agriturismo m’a fait boire. Le goût de cette figue que j’ai cueilli en passant. Le goût des pêches offertes par Léna et Michelangelo. Tout était incroyablement bon. Dans quel état d’esprit étais-je pour ressentir aussi profondément ces bonheurs simples ? Je suis encore plus ému en pensant au jeune homme qui a demandé à son père de m’amener en voiture. J’avais une chance sur mille pour qu’une personne soit encore dehors à l’heure où je passais ! Merci 1000 fois !!!

Au petit matin, je n’ai pas envie de me lever. Encore moins de marcher. J’ai mal aux pieds. Voilà qui ne.m’était pas arrivé depuis un moment. Mais je n’ai pas le choix, Frère Joseph m’attend. Je le retrouve comme prévu. Il porte une petite caisse avec tout ce qu’il faut pour un petit déjeuner. Je n’ai envie de rien. A part d’un café pour me secouer un peu. Je serai bien resté au lit. En plus des pieds, j’ai très mal au sciatique.

Frère Joseph a donc 27 ans. Et a déménagé… 27 fois dans sa vie ! Je vous laisse calculer la moyenne annuelle. Il y a deux ans, il a décidé d’aller à Jérusalem à pied. Sans argent, sans rien. Avec l’aide des personnes rencontrées il a pu aller jusque dans le talon de la botte que représente l’Italie. Comme St François d’Assise, et comme beaucoup de nos contemporains, il cherchait sa voie. S’interrogeant sur ce qu’il devait faire de sa vie. Il n’est pas allé à Jérusalem. Il a vivoté en Italie. Dans les alentours du Vatican, d’abord. Avant d’élire domicile dans une cabane à quelques kilomètres de Rome. Là encore, la population l’a aidé. Avant d’entrer chez franciscains. Et d’y être heureux. Car il est. Ça se soit. Ça s’entend.

Avant de le quitter, il me propose de prier ensemble devant une image de la Vierge. Elle aurait des vertus miraculeuses. Il me suggère de demander la guérison de ma sciatique. J’ai d’autres choses à demander….

Notre rencontre s’achève devant le sanctuaire où il a accepté de poser pour une photo qui me tient à coeur. J’emporte aussi un -gros !- livre relatant la vie très particulière (le mot est faible) de Maximilien Kolbe. Ce n’est pas très raisonnable de ma part de me.charger d’un si gros ouvrage. A un moment où je me sens fatigué. Mais Frère Jospeh et moi croyons aux rencontres plutôt qu’au hasard…

Une bien belle, et surprenante rencontre. On se salue. Je reprends ma route, le corps voûté par le poids de mon sac qui m’écrase littéralement. Mais mon coeur, lui, est léger. Il sait que ce que j’ai vécu hier soir a une valeur inestimable. Il en profite pour rappeler à mon esprit que ça faisait partie des choses que je voulais vivre.

Prenez soin de vous, et à bientôt !

Mahdi du Camino

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Bonne nuit de Perugia…

Salut !

Une petite vidéo d’une des rues du centre-ville historique de Perugia :
 
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Prenez soin de vous, et bonne nuit !

Mahdi du Camino

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RTT

Salut !

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Un petit coucou du soir depuis Perugia (Pérouse)… où je ne devais arriver que demain soir. Pourquoi suis-je déjà là ? Tout simplement parce qu’en arrivant à l’auberge de jeunesse de Ponte Felcino, celle-ci êtait complète. Je me suis dit que j’avais autant continuer et passer deux nuits ici.

Cela me laissera tout le temps de mettre le Blog à jour en vous racontant les détails depuis mon départ du sanctuaire francoscain de Canoscio. Je vous raconterai les échanges avec le jeune Frère Joseph. Je vous raconterai aussi comment les taons, encore eux (!), se sont déchaînés sur moi. Et surtout comment il s’en est fallu de peu que je me fasse mettre en pièces par des chiens. D’abord par un superbe berger allemand à poils longs. Oui, je me souviens bien de lui ! 😉 Ensuite, par quatre gros chiens de berger. Enormes et très remontés. Là, ça s’est joué à peu de choses. Patience, donc.

Prenez bien soin de vous, et à demain !

Mahdi du Camino

PS : je vous Assise depuis l’auberge de jeunesse. Ça fait bizarre…

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Partout il y a des gens formidables…

Salut !

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Sachant que j’ai le choix entre 17 et 27 kms, je démarre tranquillement de Monterchi-Pocaia. Pour changer, j’ai très mal au sciatique. Je commence donc la journée en boîtant un peu. Ça ne m’inquiète pas plus que ça. J’ai l’habitude. Je suis comme un -très- vieux diesel, il me faut du temps pour chauffer.

Le ciel est un peu nuageux, mais il fait beau pour le moment. Et chaud. Assez rapidement, je commence à monter. Ce n’est pas la grande forme. Ces dernières nuits sont toutes cassées par mes douleurs de sciatique. Je me réveille toujours au milieu de la nuit. Je me tourne sans cesse à la recherche de la position idéale, et finis chaque fois par m’endormir profondément… quand il va être l’heure de me lever. Ça et mes sentiments paradoxaux à l’approche d’Assise, de la fin, doit sûrement me perturber intérieurement. J’ai envie de me poser. Et j’ai envie de me remettre dans « la baston ». Certains matins, j’ai envie de retourner dans les hautes montagnes du début. D’en découdre, sachant que je suis en condition maintenant.

Je continue à monter. J’ai l’impression que je n’ai plus qu’à marcher tranquillement. Que plus rien ne va m’arriver. Plus rien ne peut me surprendre. Bien sûr, je me trompe.

A l’entrée d’un village, tout en grimpant j’aperçois un homme discutant avec une personne que je ne peux voir. L’homme en question est à moitié débraillé. Je suis un peu surpris de son comportement. J’approche. Il a le bide à l’air. Pas beau à voir. 😉
Je suis encore plus près. Il défait sa ceinture, et « s’arrange ». Je suis encore plus surpris. Ce n’est pas du tout le style des Italiens de se comporter ainsi, devant un étranger de surcroît. La personne que je ne pouvais pas voir est un jeune homme. J’imagine que ce sont le père et le fils. Je les salue. En réponse, j’ai un timide bonjour du fils, et un petit grognement du paternel. Pas beau à entendre. 😉

Quelques mètres plus loin, je bifurque à 90 degrés. Là, je suis agréablement surpris par une plaque sur une maison. Il s’agit du début d’une poésie de Stéphane Mallarmé (1842-1898) :
« Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre… »

Je veux photographier l’endroit. La plaque est devant ce qui ressemble à un atelier. Un homme s’y affaire. Il se tourne, me voit et sort. Je lui demande si je peux faire une photo. Il accepte volontiers… en français, en plus. Il est franco-italien. Nous discutons devant son atelier, puis il me propose de m’offrir un verre de ginseng. J’accepte.

Il est peintre et s’appelle… Michelangelo. Ça ne s’invente pas ! Lui et sa femme Lina sont installés là depuis environ 10 ans. Et ont bien du mal à se faire accepter. On discute ainsi de choses et d’autres pendant près d’une heure. C’est la première fois que ça m’arrive, je n’ai pas très envie de repartir, mais il le faut bien. Tous deux me proposent de me faire un sandwich. Je refuse gentiment. J’accepte d’emporter des fruits. Léna m’en donne un bon sac. Poires, pêches, prunes, j’ai de quoi faire ! On se quitte en échangeant nos adresses. A ce moment-là, je ne le sais pas, mais les fruits vont m’être très précieux.

Je repars doucement. Tout va bien, jusqu’à ce que les balises disparaissent dans un tournant où je suis censé quitter la route. Le poteau indiquant de tourner a dû être percuté par un véhicule. Vers où pointait la flèche de la balise ? Pire ! Il y a trois sentiers. Aucun n’est balisé à son départ. J’en teste deux sans grand succès. Celui que semble indiquer la carte, et qui me paraît plus logique est assez raide. Je le monte pendant 15 mn. Pas de balise. Je m’enfonce dans le bois. J’insiste. Avant de me rendre à l’évidence : si je continue, je vais me perdre. Heureusement, j’ai une bonne mémoire et me rappelle certaines plantes que j’ai évitées en montant. J’arrive à redescendre jusqu’au poteau plié. Ça fait environ une heure que je suis au même endroit. Je suis un peu énervé. Tant pis, je prends la route. Elle va me rallonger considérablement la distance, mais je n’ai pas le choix. Je dois avancer. Quand je suis contrarié de la sorte, je réagis toujours de la même façon : je marche très vite. Je me fiche que ce soit une longue montée. Je marche comme si j’étais sur du plat. Dans mon esprit, c’est du plat ! C’est le seul moyen de me calmer et de ne pas ruminer. Je retrouve les balises quelques kilomètres plus haut, quand le sentier surgit sur ma droite.

Je n’ai pas la pêche quand j’arrive à Monte Santa Maria, j’ai parcouru les 17 kms de la première étape. J’en ai marre et décide de dormir là. Le village, perché à flanc de montagne est joli. Il fait moins beau. Le vent souffle de plus en plus. Raisons de plus pour m’arrêter ici. Mais curieusement, je change vite d’avis. L’endroit ne m’inspire pas. Je décide de faire une bonne pause et de continuer.

J’ai bien mangé et la descente de l’autre côté de la montagne se fait rapidement. 10 kms, c’est rien, me dis-je. Une heure plus tard, je passe dans une propriété. Il s’agit de chambres d’hôtes. Un gros chien traîne en liberté. Il me voit de loin. Ça me stresse. Il descend un peu en contrebas et aboie sans arrêt. Je ne le quitte pas des yeux. Discrètement, je regarde si il y a quelqu’un. Un homme est là. Il a vu la scène mais n’est pas intervenu. Je quitte rapidement la propriété par le chemin forestier qui descend. Je ne vois aucune balise. 100 m, 200 m, 500 m de parcourus, toujours rien. Quand j’arrive à l’entrée de la vaste propriété, rien ne me confirme que je suis sur le bon tracé. J’hésite, puis décide de faire demi-tour. Tant pis si je dois me coltiner le chien. Je remonte toute la route descendue de bonne humeur… avec un tout autre état d’esprit.

En arrivant à la hauteur de la maison, je ne vois plus le chien. En revanche, l’homme est encore là. Il aide un homme plus âgé dans des travaux de menuiserie. Je les salue et m’adresse à l’ancien. J’ai de la chance, il parle anglais. Effectivement, je me suis trompé, je ne devais pas descendre, mais continuer à monter sur ma gauche. Je repense au chien qui m’a fait faire tout faux.

Avant de repartir, je demande au monsieur si il peut me vendre de l’eau gazeuse. Il va voir. Il finit par revenir avec une cruche d’eau. Et me prévient qu’elle est très très froide. Il m’invite à poser mon sac et à m’asseoir. Je n’oublierai jamais comme j’ai aimé cette eau. A cet endroit-là. A ce moment-là. Meilleure que n’importe quelle eau gazeuse ! Tellement bonne !

Le monsieur va chercher une carte. On dirait un relevé du cadastre. Il m’explique très précisément par où je dois passer. Il parle doucement et très clairement. Il me dit qu’il me reste 17 kms ! Ce n’est pas possible. 7, tout au plus. Il me répond, non, au moins 12. Avec un petit sourire. Je lui demande si je lui dois quelque chose pour l’eau. Il me répond non en s’inclinant légèrement. Il a beaucoup de charisme. Et sans qu’il ne m’ait posé la moindre question sur ce que je faisais là, je sens bien qu’il éprouve du respect pour moi. Ça me touche énormément. L’autre homme n’a pas dit un seul mot pendant tout ce temps-là. Je leur sers la main en remerciant mon bienfaiteur. Plus loin je me dis que j’aurais peut-être dû dormir là…

Justement, où vais-je dormir ? C’est la question que je me pose quand trois heures plus tard je sors des bois. Pas de souci de balises. J’interpelle une dame qui fait son footing et lui demande la direction du sanctuaire franciscain où je me rends. Elle m’explique qu’il me reste environ 10 kms ! Je réponds que c’est impossible. Elle me rétorque au moins 8 ou 9. Je repars perplexe et… un peu énervé. J’accélère le pas. Deux petits chiens aboient à mon passage et font mine de me courser. Ce n’est pas le moment ! Je m’enfonce dans les bois. Le soleil se couche. A certains passages, je sens qu’il ne va pas tarder à faire nuit. Les taons n’en ont cure. Je ne l’ai pas signalé, mais ils m’ont accompagné quasiment toute la journée. Parfois à 2 ou 3, parfois à 40 ou 50. J’accélère pour sortir au plus vite du bois. Je m’arrête pour batailler avec les taons. Ils sont plus durs à tuer que ceux de La verna. Quand j’arrête de marcher… ils disparaissent. Seuls ceux qui tentent de me piquer le cuir chevelu sont à ma portée. Pour les tuer, je dois me mettre de grosses claques dans la tête. Très agréable.

Le temps passe, je ne vois rien. Pas de sanctuaire, pas de village, rien. Seulement le temps qui passe et la nuit qui tombe. Pas question de dormir dans les bois ce soir. Avec les taons, c’est infernal ! Je ne vois plus de balises. Je n’ai aucune idée d’où je me trouve. Je vois quelques maisons. Je marche dans leur direction. Mais le sentier est sinueux, il ne passe pas devant elles. Tant pis, je décide de le suivre jusqu’à tomber sur une route. Quand enfin j’en croise une, je fais signe à une voiture. Ce sont deux jeunes filles. Elles hésitent. Je les comprends. Un barbu, avec un sac à dos et un bâton, la nuit au milieu de nulle part…il y a de quoi se poser des questions. Néanmoins, elles s’arrêtent. Et m’explique la direction du sanctuaire. Elles pensent qu’il me reste environ… 10 kms ! J’ai envie de hurler ! Je les remercie et me remets en route. Ma hantise est d’arriver tard et qu’on me laisse à la porte. Je commence á penser à quelque chose que je n’ai jamais fait : arrêter une voiture et proposer de payer pour qu’on m’y emmène. J’en ai ras-le-bol. Les taons, les chiens, les détours, tout cela m’a fatigué nerveusement. Et physiquement.

Il fait nuit quand je passe devant une maison. Un jeune homme est assis sur un banc. Il me tourne le dos. Je l’interpelle. Il sursaute. On est dans un coin perdu, personne n’est censé circulé ici à pied. Et à cette heure-ci. De nouveau, je demande où se trouve le sanctuaire. Le jeune homme pointe son doigt dans une direction. Je tourne la tête. Et là, je suis écoeuré. Le sanctuaire est bien là. Magnifique. Siégeant sur le haut d’une montagne qui doit être à près de trois heures de marche. Je suis démoralisé. C’est le coup de trop, ça. Mon interlocuteur, qui ne parle pas français, doit comprendre ce que je ressens. Il me propose de m’y emmener en voiture. Je réponds oui sans hésitation. Il me fait entrer dans la propriété, et m’invite à le suivre. La soirée prend alors ne tout autre tournure.

Le jeune homme m’amène à ses parents. Et leur présente la situation. Le père parle un peu français. On m’invite à rentrer. On m’offre une cruche… d’eau gazeuse ! La mère veut me faire à manger. Je refuse gentiment. Le père insiste pour que je mange une omelette. Non. Je veux être sûr d’avoir mon hébergement. Et leur explique. Le père et le fils m’emmènent au sanctuaire. Quand je remercie la mère, elle me dit qu’elle n’a rien fait. Je lui réponds que non. Qu’elle a fait énormément…
Il est 20h30.

Je crois être sorti d’affaire. Mais le père supérieur étant absent, les novices ne peuvent pas décider seuls de m’héberger. Des coups de fil sont donnés. Un groupe de franciscains arrivent. L’un d’eux, Frère Joseph, est français. Le courant passe de suite entre nous. Tout se débloque. A 21h30, j’ai un lit dans un dortoir où je suis seul. On m’offre un repas que j’apprécie à sa juste valeur.

Tout en mangeant, je repense au déroulement de cette folle journée. Jamais je n’aurais imaginé qu’elle prendrait cette tournure. Et encore mouns qu’elle finirait de cette façon. Je me suis trompé : je ne suis pas au bout de mes surprises…

Prenez soin de vous, et à bientôt !

Mahdi du Camino

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