L’instinct de survie…

Salut !

19 kms. C’est la distance qui me sépare de la ville d’Umbertide. Une petite étape qui tombe bien vu ma petite forme en quittant le sanctuaire franciscain et Frère Joseph. En plus, la route descend doucement sur plusieurs kilomètres. J’y vais tranquillement. Le ciel est un peu couvert et il fait moins chaud qu’hier.

Juste avant de descendre, Frère Joseph avait demandé à un diacre du pays comment retrouver les balises. Etant arrivé en voiture de nuit, je n’ai aucune idée d’où se trouve le sentier. Le diacre en question voulait me faire prendre la route la plus courte. J’avais insisté sur La via Ghibellina. J’en ai profité pour faire de la publicité… 😉

L’homme m’a alors montré deux grandes antennes sur une montagne au loin. Il m’a expliqué que j’allais passer à leurs pieds. Effectivement, c’est chose faite en début d’après-midi. Je suis sur la crête. Le vent souffle bien. Le soleil est caché par des nuages semblant s’épaissir. Je pense qu’il va pleuvoir d’ici peu.

Je passe deux premières antennes. Le chemin forestier descend vers une troisième. La descente se poursuit jusqu’à une propriété. Il tombe quelques gouttes. Une superbe piscine capte toute mon attention. Je ne vois pas le sentier partir à gauche. En revanche, je vois le panneau devenu un classique depuis le début de mon périple : « Attenti al cane » (Attention au chien). Je ne prends pas la peine de lire le petit panneau en-dessous. Erreur. La piscine et la maison sont superbes dans ce décor. Il fait plutôt frais, et je n’ai pas du tout envie de me baigner. Mais je trouve le tout tellement beau. Je ne vois personne. Seule une voiture est garée devant la maison. Je ne vois pas les balises non plus.

De petits pics en bois avec la tête peinte couleur des balises m’induisent davantage en erreur. Sans être sûr que ce soit la bonne route, je continue. Me voici longeant la propriété, arrivant derrière la maison et la piscine, espérant y voir un sentier. Rien. Seulement une vue sur les montagnes. Pas d’autres maisons non plus. Je fais demi-tour. Gros problème ! A 30 mètres surgit un gros berger allemand à poils longs. Il m’a vu. Et vient vers moi sans aboyer. Tout va très vite dans mon esprit : impossible de retraverser la propriété. Je cours vers ce que j’avais pris pour un sentier. Et me retrouve dans le maquis ! Et m’y enfonce. Je me retourne régulièrement pour voir si le chien m’a suivi. Il pleut un peu plus fort. Mon sac étant assez imposant, j’ai du mal à me frayer un chemin entre les ronces et les petits arbres morts. Malgré mes efforts, je tombe lourdement deux fois. Et me relève vite.

J’ai un rapport très particulier avec les chiens. Ça date d’il y a 10 ans. En venant de Jérusalem pour aller à Compostelle, nous avions traversé la Turquie. A un moment où je cheminais loin derrière mon compagnon de marche, je me suis fait attaquer par deux chiens. J’avais eu le malheur de passer devant leur maison, et le portail était ouvert. Une expérience traumatisante. L’un des deux chiens tentait de me prendre à revers, tandis que l’autre attaquait de face. Je me souviens avoir eu énormément de mal à les garder à distance. Mon sac très lourd ne m’aidait pas à bouger rapidement. J’avais dû mon salut à mon bâton, et à l’arrivée inopinée… d’un journaliste qui nous cherchait. Je me souviens avoir été tellement content de son intervention que croyant le (re)connaître, dans le stress du moment je lui avais fait la bise. Je ris encore de ma réaction quand j’y repense. 😉

Il n’y aucun sentier. Je dois me rendre à l’évidence : je suis en train de m’enfoncer dans un terrain que je ne connais pas du tout, et vais forcément finir par me perdre. Il se met subitement à pleuvoir très fort. Un bonnee grosse averse. Il ne manquait plus que ça. Est-ce l’instinct de survie ? Je l’ignore. Mais toujours est-il que je décide de rebrousser chemin. Je suis prêt à me défendre. Berger allemand ou pas, je ne ferai pas demi-tour. Je me passe cent fois le film dans ma tête. Si il m’attaque, je jette mon sac et je le plante avec mon bâton. En temps normal, je ne ferais pas de mal à une mouche. Mais là, je remonte en me disant que si je ne le tue pas, c’est lui qui va le faire. Je n’ai pas la rage. Je ne suis pas en colère. Je ne me demande même pas quelles sont mes chances. Je crois que j’ai peur… et ça me rend fou.

Il a disparu. Je retraverse la propriété jusqu’au panneau. Sur le second est inscrit « Propriété privée. Passage interdit ». Là, je comprends que j’ai fait fausse route. Et remonte vers la dernière antenne. Je retrouve mon chemin qui descend maintenant vers ma droite.

Jusqu’alors, je suivais un sentier forestier en gravier. Maintenant c’est de la terre. Transformée en boue avec la pluie. Ça glisse énormément. J’évite plusieurs fois de tomber. Je patine plus que je ne.marche ! Les taons sont de retour. Nombreux. Très nombreux ! Ils doivent être une soixantaine à tourner dans tous les sens autour de moui. Ils sont très excités. Moi, c’est l’inverse. Je suis hyper calme. Je leur parle. Je les insulte. Je me moque d’eux. Je leur dis qu’ils n’oseront jamais me suivre en ville. Plus question de m’énerver avec eux. Mais je continue à faire des pauses vendetta.

Le sentier redevient gravier après un quart d’heure de patinoire. L’apparition d’une première maison, entourée d’un grillage cette fois (!), me rassure. Je continue à descendre. De nouveau, je ne vois plus les balises. Même si je les gère de mieux en mieux, les taons demandent tout de même que je ne les quitte pas des yeux. Ai-je raté une balise pour cette raison ? Je demande mon chemin à un anglais résidant dans le coin. Il me dit de suivre la petite route jusqu’au pied de la montagne. Ça me permettra de retrouver la route principale menant à Umbertide. Je sais que ça va me rallonger de plusieurs kilomètres. Mais au moins je sais où je vais. Je continue donc ma descente en lacets.

Arrivé à un énième virage, un chien de berger aboie après moi. Il s’agit d’un chien de montagne des Pyrénées. Il est un virage plus bas. Le troupeau de moutons, lui, est à 100 mètre du grillage bordant la route. Je continue à descendre, tandis que le chien s’approche du grillage en question. Un second chien arrive. Le même. Puis un troisième. Aussi gros, mais d’une autre race. Et comme si cela ne suffisait pas, arrive une sorte de labrador survitaminé. Ils aboient tous les quatre.

Quand j’arrive près d’eux, je vois que le grillage n’est pas fermé sur la droite. Je m’empresse d’arriver à leur hauteur, afin d’éviter qu’ils viennent à moi et découvrent que l’enclos n’est pas totalement clos, justement. Je marche sur le côté gauche de la toute petite route. Ils aboient de plus en.plus, juste là à 3 ou 4 mètres de moi. Ils s’excitent les uns les autres. Je sens que ça va crescendo et redoute la tournure de la situation. Il n’y a aucune maison à moins de 500 mètres. Pas de berger dans les champs. Les chiens sont fous de me voir passer aussi près. J’ai repéré l’autre bout de l’enclos. Je dois tenir jusque là. Une fois à la limite, je ne serai plus sur « leur » territoire.

Je continue d’avancer. Le grillage n’est pas très haut. Moins d’un mètre. Je sais que les trois plus gros sont incapables de le sauter. Par contre, le labrador bodybuildé est un peu plus petit et la colère aidant, il pourrait peut-être… tout à coup arrive ce que je redoutais ! Le gros labrador se glisse en-dessous du grillage et vient sur la route. Les trois autres hurlent de plus belle. J’ai l’impression.qu’il lui crient : « Bouffe-le ! Putain, bouffe-le ! ». Je me tourne vers l’échappé. Je me mets mon bâton en avant pour le garder à distance. A peine sorti du champ, il pisse sur le bas-côté. On est bien dans une lutte de territoire. La fin de l’enclos se rapproche. Je dois continuer à avancer doucement.

J’ignore si l’épisode du berger allemand y est pour quelque chose, mais je suis plutôt calme compte tenu de la situation. Je sais que je ne dois pas paniquer. Surtout ne pas courir. Ce serait leur dire ouvertement que j’ai peur. Et à ce moment précis, je n’ai pas peur. Je réfléchis à tout ce que je dois faire. Et à ce que je dois éviter. Je suis conscient de n’avoir aucune chance contre ces quatre molosses. Pourtant, je me dis que si ils passent à l’attaque et que je dois y laisser ma peau, au moins l’un d’eux partira avec moi.

Celui qui est sorti a fini de pisser. Il me suit doucement. Les trois autres veulent aussi sortir. Ça s’entend ! Celui qui ressemble à un chien de berger croisé trouve une autre faille dans le grillage ! Il glisse sa tête. Il est énorme. A ce moment-là, je laisse de côté celui qui est sorti et pointe mon bâton vers le gros bâtard (c’est le cas de le dire !). Il renonce à essayer de sortir. Ça me rassure. Ils ont compris que je n’avais pas peur. Pas encore…

J’arrive au bout de l’enclos… qui n’est pas fermé. Merde ! Je continue à surveiller celui qui est dehors. Il me suit timidement. Je pense qu’il a compris que je n’en voulais pas au troupeau. Le gros bâtard se met dans le coin de l’enclos ouvert. Les deux autres le suivent. Ils sont sur une roche, donc en hauteur par rapport à moi. Je leur répète plusieurs fois que je m’en vais. C’est bon, je m’en vais… Ils me regardent m’éloigner.

La pression retombe. J’ai les jambes en coton. Je me dis : « Quel coup de flippe de merde ! Mais quel coup de flippe de merde ! ». Avant de me repasser toute la scène. Et en particulier mon comportement. Et là, je suis fier de moi. J’ai tenu tête. Avant de partir, je savais que je serai confronté à un chien… mais pas à quatre !

Je suis maintenant trois virages plus bas. De nouveau les chiens aboient. Je me tourne. Je souris… et les gratifie d’un beau doigt d’honneur.

Dix minutes plus tard, je passe devant une maison où est allongé un « chien de garde ». Disons un mini chien. Il ne m’entend pas arriver. Tu parles d’un chien de garde ! Il doit dormir. Il relève la tête quand j’arrive à un mètre de lui. Il ne bronche pas. Je passe, lui souris et le gratifie d’un doigt lui aussi. Mais du pouce. Je m’éloigne. Quand je suis à 10 mètres, il se met à aboyer. J’éclate de rire !

Je n’avais que 19 kms à faire. Une petite étape qui tombait bien vu ma petite forme de ce matin… ça aussi, c’est arpenter le chemin.

Prenez soin de vous, et à bientôt !

Mahdi du Camino

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