Partout il y a des gens formidables…

Salut !

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Sachant que j’ai le choix entre 17 et 27 kms, je démarre tranquillement de Monterchi-Pocaia. Pour changer, j’ai très mal au sciatique. Je commence donc la journée en boîtant un peu. Ça ne m’inquiète pas plus que ça. J’ai l’habitude. Je suis comme un -très- vieux diesel, il me faut du temps pour chauffer.

Le ciel est un peu nuageux, mais il fait beau pour le moment. Et chaud. Assez rapidement, je commence à monter. Ce n’est pas la grande forme. Ces dernières nuits sont toutes cassées par mes douleurs de sciatique. Je me réveille toujours au milieu de la nuit. Je me tourne sans cesse à la recherche de la position idéale, et finis chaque fois par m’endormir profondément… quand il va être l’heure de me lever. Ça et mes sentiments paradoxaux à l’approche d’Assise, de la fin, doit sûrement me perturber intérieurement. J’ai envie de me poser. Et j’ai envie de me remettre dans « la baston ». Certains matins, j’ai envie de retourner dans les hautes montagnes du début. D’en découdre, sachant que je suis en condition maintenant.

Je continue à monter. J’ai l’impression que je n’ai plus qu’à marcher tranquillement. Que plus rien ne va m’arriver. Plus rien ne peut me surprendre. Bien sûr, je me trompe.

A l’entrée d’un village, tout en grimpant j’aperçois un homme discutant avec une personne que je ne peux voir. L’homme en question est à moitié débraillé. Je suis un peu surpris de son comportement. J’approche. Il a le bide à l’air. Pas beau à voir. 😉
Je suis encore plus près. Il défait sa ceinture, et « s’arrange ». Je suis encore plus surpris. Ce n’est pas du tout le style des Italiens de se comporter ainsi, devant un étranger de surcroît. La personne que je ne pouvais pas voir est un jeune homme. J’imagine que ce sont le père et le fils. Je les salue. En réponse, j’ai un timide bonjour du fils, et un petit grognement du paternel. Pas beau à entendre. 😉

Quelques mètres plus loin, je bifurque à 90 degrés. Là, je suis agréablement surpris par une plaque sur une maison. Il s’agit du début d’une poésie de Stéphane Mallarmé (1842-1898) :
« Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre… »

Je veux photographier l’endroit. La plaque est devant ce qui ressemble à un atelier. Un homme s’y affaire. Il se tourne, me voit et sort. Je lui demande si je peux faire une photo. Il accepte volontiers… en français, en plus. Il est franco-italien. Nous discutons devant son atelier, puis il me propose de m’offrir un verre de ginseng. J’accepte.

Il est peintre et s’appelle… Michelangelo. Ça ne s’invente pas ! Lui et sa femme Lina sont installés là depuis environ 10 ans. Et ont bien du mal à se faire accepter. On discute ainsi de choses et d’autres pendant près d’une heure. C’est la première fois que ça m’arrive, je n’ai pas très envie de repartir, mais il le faut bien. Tous deux me proposent de me faire un sandwich. Je refuse gentiment. J’accepte d’emporter des fruits. Léna m’en donne un bon sac. Poires, pêches, prunes, j’ai de quoi faire ! On se quitte en échangeant nos adresses. A ce moment-là, je ne le sais pas, mais les fruits vont m’être très précieux.

Je repars doucement. Tout va bien, jusqu’à ce que les balises disparaissent dans un tournant où je suis censé quitter la route. Le poteau indiquant de tourner a dû être percuté par un véhicule. Vers où pointait la flèche de la balise ? Pire ! Il y a trois sentiers. Aucun n’est balisé à son départ. J’en teste deux sans grand succès. Celui que semble indiquer la carte, et qui me paraît plus logique est assez raide. Je le monte pendant 15 mn. Pas de balise. Je m’enfonce dans le bois. J’insiste. Avant de me rendre à l’évidence : si je continue, je vais me perdre. Heureusement, j’ai une bonne mémoire et me rappelle certaines plantes que j’ai évitées en montant. J’arrive à redescendre jusqu’au poteau plié. Ça fait environ une heure que je suis au même endroit. Je suis un peu énervé. Tant pis, je prends la route. Elle va me rallonger considérablement la distance, mais je n’ai pas le choix. Je dois avancer. Quand je suis contrarié de la sorte, je réagis toujours de la même façon : je marche très vite. Je me fiche que ce soit une longue montée. Je marche comme si j’étais sur du plat. Dans mon esprit, c’est du plat ! C’est le seul moyen de me calmer et de ne pas ruminer. Je retrouve les balises quelques kilomètres plus haut, quand le sentier surgit sur ma droite.

Je n’ai pas la pêche quand j’arrive à Monte Santa Maria, j’ai parcouru les 17 kms de la première étape. J’en ai marre et décide de dormir là. Le village, perché à flanc de montagne est joli. Il fait moins beau. Le vent souffle de plus en plus. Raisons de plus pour m’arrêter ici. Mais curieusement, je change vite d’avis. L’endroit ne m’inspire pas. Je décide de faire une bonne pause et de continuer.

J’ai bien mangé et la descente de l’autre côté de la montagne se fait rapidement. 10 kms, c’est rien, me dis-je. Une heure plus tard, je passe dans une propriété. Il s’agit de chambres d’hôtes. Un gros chien traîne en liberté. Il me voit de loin. Ça me stresse. Il descend un peu en contrebas et aboie sans arrêt. Je ne le quitte pas des yeux. Discrètement, je regarde si il y a quelqu’un. Un homme est là. Il a vu la scène mais n’est pas intervenu. Je quitte rapidement la propriété par le chemin forestier qui descend. Je ne vois aucune balise. 100 m, 200 m, 500 m de parcourus, toujours rien. Quand j’arrive à l’entrée de la vaste propriété, rien ne me confirme que je suis sur le bon tracé. J’hésite, puis décide de faire demi-tour. Tant pis si je dois me coltiner le chien. Je remonte toute la route descendue de bonne humeur… avec un tout autre état d’esprit.

En arrivant à la hauteur de la maison, je ne vois plus le chien. En revanche, l’homme est encore là. Il aide un homme plus âgé dans des travaux de menuiserie. Je les salue et m’adresse à l’ancien. J’ai de la chance, il parle anglais. Effectivement, je me suis trompé, je ne devais pas descendre, mais continuer à monter sur ma gauche. Je repense au chien qui m’a fait faire tout faux.

Avant de repartir, je demande au monsieur si il peut me vendre de l’eau gazeuse. Il va voir. Il finit par revenir avec une cruche d’eau. Et me prévient qu’elle est très très froide. Il m’invite à poser mon sac et à m’asseoir. Je n’oublierai jamais comme j’ai aimé cette eau. A cet endroit-là. A ce moment-là. Meilleure que n’importe quelle eau gazeuse ! Tellement bonne !

Le monsieur va chercher une carte. On dirait un relevé du cadastre. Il m’explique très précisément par où je dois passer. Il parle doucement et très clairement. Il me dit qu’il me reste 17 kms ! Ce n’est pas possible. 7, tout au plus. Il me répond, non, au moins 12. Avec un petit sourire. Je lui demande si je lui dois quelque chose pour l’eau. Il me répond non en s’inclinant légèrement. Il a beaucoup de charisme. Et sans qu’il ne m’ait posé la moindre question sur ce que je faisais là, je sens bien qu’il éprouve du respect pour moi. Ça me touche énormément. L’autre homme n’a pas dit un seul mot pendant tout ce temps-là. Je leur sers la main en remerciant mon bienfaiteur. Plus loin je me dis que j’aurais peut-être dû dormir là…

Justement, où vais-je dormir ? C’est la question que je me pose quand trois heures plus tard je sors des bois. Pas de souci de balises. J’interpelle une dame qui fait son footing et lui demande la direction du sanctuaire franciscain où je me rends. Elle m’explique qu’il me reste environ 10 kms ! Je réponds que c’est impossible. Elle me rétorque au moins 8 ou 9. Je repars perplexe et… un peu énervé. J’accélère le pas. Deux petits chiens aboient à mon passage et font mine de me courser. Ce n’est pas le moment ! Je m’enfonce dans les bois. Le soleil se couche. A certains passages, je sens qu’il ne va pas tarder à faire nuit. Les taons n’en ont cure. Je ne l’ai pas signalé, mais ils m’ont accompagné quasiment toute la journée. Parfois à 2 ou 3, parfois à 40 ou 50. J’accélère pour sortir au plus vite du bois. Je m’arrête pour batailler avec les taons. Ils sont plus durs à tuer que ceux de La verna. Quand j’arrête de marcher… ils disparaissent. Seuls ceux qui tentent de me piquer le cuir chevelu sont à ma portée. Pour les tuer, je dois me mettre de grosses claques dans la tête. Très agréable.

Le temps passe, je ne vois rien. Pas de sanctuaire, pas de village, rien. Seulement le temps qui passe et la nuit qui tombe. Pas question de dormir dans les bois ce soir. Avec les taons, c’est infernal ! Je ne vois plus de balises. Je n’ai aucune idée d’où je me trouve. Je vois quelques maisons. Je marche dans leur direction. Mais le sentier est sinueux, il ne passe pas devant elles. Tant pis, je décide de le suivre jusqu’à tomber sur une route. Quand enfin j’en croise une, je fais signe à une voiture. Ce sont deux jeunes filles. Elles hésitent. Je les comprends. Un barbu, avec un sac à dos et un bâton, la nuit au milieu de nulle part…il y a de quoi se poser des questions. Néanmoins, elles s’arrêtent. Et m’explique la direction du sanctuaire. Elles pensent qu’il me reste environ… 10 kms ! J’ai envie de hurler ! Je les remercie et me remets en route. Ma hantise est d’arriver tard et qu’on me laisse à la porte. Je commence á penser à quelque chose que je n’ai jamais fait : arrêter une voiture et proposer de payer pour qu’on m’y emmène. J’en ai ras-le-bol. Les taons, les chiens, les détours, tout cela m’a fatigué nerveusement. Et physiquement.

Il fait nuit quand je passe devant une maison. Un jeune homme est assis sur un banc. Il me tourne le dos. Je l’interpelle. Il sursaute. On est dans un coin perdu, personne n’est censé circulé ici à pied. Et à cette heure-ci. De nouveau, je demande où se trouve le sanctuaire. Le jeune homme pointe son doigt dans une direction. Je tourne la tête. Et là, je suis écoeuré. Le sanctuaire est bien là. Magnifique. Siégeant sur le haut d’une montagne qui doit être à près de trois heures de marche. Je suis démoralisé. C’est le coup de trop, ça. Mon interlocuteur, qui ne parle pas français, doit comprendre ce que je ressens. Il me propose de m’y emmener en voiture. Je réponds oui sans hésitation. Il me fait entrer dans la propriété, et m’invite à le suivre. La soirée prend alors ne tout autre tournure.

Le jeune homme m’amène à ses parents. Et leur présente la situation. Le père parle un peu français. On m’invite à rentrer. On m’offre une cruche… d’eau gazeuse ! La mère veut me faire à manger. Je refuse gentiment. Le père insiste pour que je mange une omelette. Non. Je veux être sûr d’avoir mon hébergement. Et leur explique. Le père et le fils m’emmènent au sanctuaire. Quand je remercie la mère, elle me dit qu’elle n’a rien fait. Je lui réponds que non. Qu’elle a fait énormément…
Il est 20h30.

Je crois être sorti d’affaire. Mais le père supérieur étant absent, les novices ne peuvent pas décider seuls de m’héberger. Des coups de fil sont donnés. Un groupe de franciscains arrivent. L’un d’eux, Frère Joseph, est français. Le courant passe de suite entre nous. Tout se débloque. A 21h30, j’ai un lit dans un dortoir où je suis seul. On m’offre un repas que j’apprécie à sa juste valeur.

Tout en mangeant, je repense au déroulement de cette folle journée. Jamais je n’aurais imaginé qu’elle prendrait cette tournure. Et encore mouns qu’elle finirait de cette façon. Je me suis trompé : je ne suis pas au bout de mes surprises…

Prenez soin de vous, et à bientôt !

Mahdi du Camino

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2 réponses à Partout il y a des gens formidables…

  1. Françoise dit :

    Elle est belle cette histoire, une atmosphère étrange et des cœurs chauds
    J’aime beaucoup
    Raconte encore

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